Intégration universitaire des formations sanitaires et sociales : les inégalités persistent, mais pour combien de temps encore ?

15/10/14

Depuis l'acte 2 de décentralisation, en 2004, les formations sanitaires et sociales sont gérées par les régions. Ces formations ne sont pas intégrées à l'Université, ce qui crée des inégalités. Cette situation est depuis longtemps dénoncée par la FAGE et les fédérations d'étudiants concernées. Les présidents de ces fédérations sont sur le pied de guerre pour faire avancer la situation ! Nous avons profité de ce début d'année pour interroger les présidents de la FNEK (étudiants en kinésithérapie), Améliane Michon, de l'UNAEE (ergothérapie), Milène Auger, de l'ANESF (sage-femme), Clémence DURAND-TONNERRE, de l'ANEP (psychomotricité), Alice Jamet et de la FNESI (infirmiers), Loïc Massardier, pour faire un point sur la situation.

FAGE : Cela fait longtemps que l'on parle d'intégration universitaire des formations sanitaires et sociales, mais finalement, où en est-on exactement pour chacune de vos formations. Est-ce que vous pouvez en rappeler les enjeux ?

Améliane Michon (FNEK) : Aujourd'hui, cinq IFMK (instituts de formation en masso-kinésithérapie) sur quarante-six sont intégrés à l'université. Trente-deux instituts ont des conventions pour l'année de PACES, la première année commune des études de santé. À peu près 80% des étudiants en kinésithérapie passent donc par la PACES alors que cela n'est censé être permis que par dérogation. On demande à ce que ça soit généralisé, et pas uniquement par dérogation !

L'intégration universitaire permettrait une intégration dans le système Licence-Master-Doctorat, avec une reconnaissance du diplôme à un grade Master, une possibilité de poursuite en Doctorat, l'accréditation de crédits ECTS. Par ce type de formation, nous pourrions avoir une mutualisation plus simple des enseignements avec les autres formations en santé.

Milène Auger (UNAEE) : Pour le moment, onze instituts de formation en ergothérapie sur vingt-et-un sont conventionnés avec une université, les autres sont soit en négociation, soit en cours de signature, soit en train de stagner ou font de la résistance. Les conventionnements sont un premier pas, mais toutefois bien différents d'une "vraie" intégration universitaire. De plus, ces conventionnements sont négociés au local et n'assurent pas obligatoirement aux étudiants un accès aux services universitaires par exemple. Les inégalités sont toujours bien présentes avec ce fonctionnement.

Alice Jamet (ANEP) : Pour nous, l'intégration universitaire nous permettrait d'avoir au moins un niveau Licence bac+3 reconnu, et pourquoi pas de développer des Masters en psychomotricité. Nous avons le soutien de nos formateurs pour que notre formation dure 5 ans, ce serait un moyen d'accélérer les choses !

Aujourd'hui, il y a quelques instituts conventionnés avec des universités mais souvent l'université est loin et n'offre donc pas réellement les services qu'elle distribue aux autres étudiants intégrés à l'université (restaurants et bibliothèques universitaires, élections étudiantes, etc.).

Loïc Massardier (FNESI) : Concernant les étudiants en soins infirmiers, actuellement tous les instituts sont conventionnés avec les universités qui leur attribuent le grade Licence. Par contre, seules six ou sept universités de rattachement ont ouvert le droit de vote et l'accès des étudiants aux services, ce n'est vraiment pas assez !

Cela permettrait, via des départements en soins infirmiers, d'une part de simplifier la gouvernance éclatée des instituts de formation en ayant une tutelle pilote, l'université, et donc de permettre de prendre des décisions en dehors des coquilles vides que sont les groupements de coopérations sanitaires actuels (GCS). D'autre part, cela permettrait également une meilleure mutualisation des moyens et coopération entre les établissements. En effet le maillage territorial est complexe, il y a plus de 300 instituts ! Chacun traite donc de ses problématiques individuellement, sans approche territoriale...

Enfin, cela permettrait de pouvoir créer une véritable filière en soins infirmiers, ce que nous demandons, afin de mêler les compétences académiques de l'université à l'expertise et la professionnalisation amenées par la formation par les pairs et l'alternance de stages. À l'heure où nous parlons de pratiques avancées, d'infirmier clinicien, de décloisonnement des formations de santé et d'adossement à la recherche en science infirmière, l'intégration universitaire est donc une priorité, avec celle d'obtenir un diplôme national de Licence !

Améliane Michon (FNEK) : Et ça permettrait une meilleure collaboration entre professionnels par la suite, c'est une chose importante pour toutes les formations de santé !

Loïc Massardier (FNESI) : Absolument ! Sans parler du rôle social des universités et d'accès à des filières qui ont souvent un coût élevé pour les étudiants d'ailleurs.

Clémence DURAND-TONNERRE (Anesf) : Pour la formation en maïeutique (sage-femme), nous prônons depuis plus de 10 ans l'intégration universitaire autonome, c'est à dire que nous voulons une formation au sein d'une composante universitaire (école notamment). Actuellement, nous sommes la seule formation médicale et pharmaceutique de la PACES (médecine, pharmacie et odontologie)à ne pas être intégrée à l'Université.

Parmi les 32 centres de formation en France (et 3 en DOM-TOM), seule l'école de Marseille est intégrée à l'Université en tant qu'école universitaire. D'autres établissements comme les écoles de Lyon, de Bourg en Bresse, de Lille Catholique et de Paris Poissy sont intégrées sous la forme d'un UFR mixte (médecine - maïeutique / Sciences de la santé). L'école de Grenoble est intégrée sous forme de département au sein de l'UFR en sciences médicales (médecine).
Les autres établissements sont en convention avec l'Université de rattachement permettant la plupart du temps un accès à la BU, à la médecine préventive et au sport universitaire. En ce moment, beaucoup de projets d'intégration universitaire sous forme de département sont proposés par les présidents d'Université.

L'intégration universitaire nous donnerait la reconnaissance de notre diplôme (bac +5) en tant que diplôme national de master (et non de grade master), et permettant ainsi un accès à un 3ème cycle.
De fait, cette intégration universitaire permettrait le développement de la recherche en maïeutique, qui est actuellement inexistante.
De plus, étudiants et professionnels veulent un enseignement par les pairs. Ainsi, du côté des sages-femmes enseignantes, ceci permettrait la création d'un statut au même titre que les enseignants en médecine, odontologie et pharmacie conférant 3 missions distinctes et complémentaires : la clinique, l'enseignement et la recherche.

FAGE : Concernant les aides sociales plus particulièrement, c'est une des grosses demandes des étudiants en formations sanitaires et sociales, quelles inégalités existent aujourd'hui ? Vous pouvez nous en dire plus ?

M.A : Nous n'avons pas accès aux bourses du CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) sauf pour un cas particulier : les étudiants en ergothérapie de l'institut d'Alençon qui sont actuellement les seuls à avoir droit aux bourses du CROUS.

L.M : Oui, comme pour les autres formations dont la compétence est aux régions, nous n'avons qu'un accès partiel aux services des CROUS. En effet, les régions gèrent les bourses, mais nous avons quand même accès à tous les autres services des CROUS, sauf le fonds national d'aide d'urgence annuel, c'est illogique ! La multiplicité des guichets et le manque de communication et d'information envers les étudiants font que peu d'entre eux se tournent vers les CROUS pour bénéficier des services auxquels ils ont accès. Peu de CROUS connaissent également les problématiques et les droits d'accès des étudiants en soins infirmiers à leurs services.

A.J : C'est la même chose pour nous. Les étudiants en psychomotricité sont peu renseignés sur les aides du CROUS, et bénéficient, s'ils en font la démarche, des bourses régionales majoritairement, parfois du CROUS. C'est le cas à Lille par exemple.

C.D-T : De la même manière, les étudiants sages-femmes sont dépendants des bourses de la région. Nous avons accès aux services du CROUS sans être prioritaires ce qui est un vrai problème pour le logement par exemple !

L.M : Les bourses restent une problématique nationale et prioritaire ! En effet, aujourd'hui, chaque région établit ses bourses selon ses priorités politiques. Cela engendre de grandes disparités entre les régions : disparités des modalités d'attribution : par exemple, certaines régions permettent le cumul avec les allocations Pôle Emploi, d'autres non. Disparités des grilles de points de charge, sur les modalités de versement ou encore dans les montants alloués aux échelons. Enfin, disparité sur les exonérations pour la sécurité sociale étudiante et les frais universitaires.
Les écarts vont parfois du simple au double !

A.M : À titre d'exemple, les bourses régionales peuvent être jusqu'à 911€ inférieures aux bourses du CROUS !

M.A : D'autant plus que les bourses régionales ne sont pas forcément revalorisées d'une année sur l'autre créant ainsi d'énormes inégalités. Certaines régions donnent beaucoup plus que d'autres. Et comme l'a dit Loïc, tous les échelons de bourses n'existent pas dans chaque région, alors que ça serait le cas si on était géré par l'université et le CROUS !

L.M : À ce jour, seule la région Basse Normandie a fait le choix de transférer la gestion des bourses au CROUS, mais, dans l'état actuel des choses, une seule procédure administrative permet ceci : un appel d'offre, puis une délégation de service public. En clair, un opérateur privé aurait pu répondre et remporter le marché. Pouvons-nous accepter ce risque ? De plus, le statut est précaire car le choix des montants reste au pouvoir de la région. Le CROUS n'est qu'un opérateur de gestion et de versement.

D'autres régions ont fait le choix de s'aligner sur les bourses des CROUS : Poitou-Charentes et Bourgogne. D'autres ont seulement une année de retard mais se mobilisent pour s'aligner : PACA, Ile-de-France, Picardie. Enfin, certaines ont moins d'échelons mais ils sont plus élevés : Franche-Comté, Nord Pas de Calais, Pays de la Loire...

Pour comparer, certaines régions versent 900€ + exonération dès l'échelon 0 alors que d'autres ne permettent même pas l'exonération. Des régions ont des bourses plus avantageuses comme la région Centre avec un échelon 6 à 6600 euros ... Afin de faire un réel comparatif, il faudrait prendre un statut d'étudiant type, et faire une demande de bourses identique dans chaque région. Cela prendrait en compte les disparités de calcul. Associé aux différences de coût de la vie dans les régions, nous aurions des chiffres réels et cohérents.

Afin d'éviter cela, la FNESI a fait le choix de s'engager sur une politique d'harmonisation des montants des bourses auprès des régions. La position de transfert au CROUS n'est pas modifiée, mais les moyens pour l'atteindre le sont.

FAGE : Et au-delà des aides sociales, quels sont vos problématiques en termes de frais d'inscription et d'accès aux services universitaires ?

A.J : En psychomotricité, il existe d'énormes inégalités sur ce plan, l'institut à Paris est à 9 500 euros par an, celui de Marseille à 8 295 euros par an. L'institut de Lille est à 4 000 euros par an, à Meulan-les-Mureaux, le montant est de 1 400 euros par an, et celui d'Hyères est de 117 euros par an. On observe donc une grande disparité entre ces coûts et une inégalité prégnante dans l'accès à la formation de psychomotricien.De plus, ily a des instituts aux statuts divers (privé, public, semi-privé).

M.A : Nos instituts intégrés à l'université sont parfois loin des services universitaires auxquels ils ont droit. Par exemple à Evreux, l'institut est rattaché à l'université de Rouen mais les étudiants ne peuvent pas aller manger au RU le midi qui est clairement trop éloigné de leur lieu de cours.

Un autre exemple à Bordeaux, accessible uniquement par PACES, qui n'est plus conventionné avec l'université une fois la PACES passée. Là-bas, les étudiants n'ont pas d'accès aux services universitaires, ni même de carte étudiante !

L.M : Là aussi c'est le grand écart entre les régions : de 184€ à 8000/an. Tout dépend de la volonté et de la politique de la région... et de l'institut de formation.

C.D-T : Sachant qu'au minimum les établissements sont conventionnés avec l'université, les frais d'inscription sont ceux arrêtés par décret pour les universités en fonction du diplôme préparé. Peuvent s'ajouter à ces frais, ceux qui concernent l'école et l'hôpital.

L.M : En effet, dans certains instituts, il n'est demandé que les 184€ de frais universitaire, plus la sécurité sociale étudiante. Dans d'autres, de nombreux frais s'y rajoutent : tenues, frais pédagogiques, etc.

Enfin, la répartition territoriale des instituts de formation en soins infirmiers (330 IFSI en France, 90 000 étudiants) fait qu'il est souvent difficile d'accéder aux services universitaires. Mais certains CROUS et certaines universités se mobilisent pour réduire cette fracture : conventionnement des restaurants hospitaliers, développement des ENT, des BU en ligne, ... Un rapprochement entre les CROUS, les régions, les élus de promotion, les GCS, les IFSI, ... permettrait de réduire encore plus ces écarts.

A.M : Les problématiques sont les mêmes pour nous ! L'intégration universitaire permettrait l'accès aux services universitaires tels que les BU, le SUMPPS, le SUAPS ...

Il faut savoir que 20% des étudiants font un prêt bancaire, de plus de 20 000€ pour 39% d'entre eux ! Afin de pouvoir rembourser ces prêts plus rapidement, de nombreux néo diplômés s'orientent vers le travail en libéral et sont lourdement endettés dès leur entrée dans le monde professionnel. C'est un vrai problème !

FAGE : La semaine dernière a eu lieu le congrès de l'ARF (Association des Régions de France). La FNESI et la FNEK y étaient représentées avec la FAGE. Des annonces ont-elles été faites ?

L.M : Notre participation à ce congrès était indispensable tant les régions ont un rôle dominant dans nos formations ! Nous avons pu rencontrer de nombreuses personnalités régionales et nationales, intervenir lors des tables rondes, avancer nos positions et avoir des perspectives de travaux en collaboration avec certaines régions. D'autres ont étés plus réticentes sur l'évolution de leurs aides sociales. L'ARF a été très sensible à notre présence, et notamment à la présence d'une équipe commune et unie entre la FAGE, la FNEK et la FNESI.

A.M : Nous avons également pu intercepter des présidents des commissions enseignement supérieur et innovation des régions : ils sont intéressés par les chiffres comparatifs pour chaque région entre bourses régionales et bourses du CROUS. Un prochain rendez-vous est dans les tuyaux afin de faire avancer la problématique.

L.M : Dans l'ensemble, les régions ont été réceptives et des rendez-vous ont pu rapidement être programmés. Les échéances sont courtes car les budgets sont étudiés en ce moment. Il nous faut donc être d'accord entre fédérations d'étudiants paramédicaux sur la possibilité d'avancer pas à pas sur le transfert au CROUS. Il faut que l'on s'implique encore davantage dans les politiques régionales !

Manuel Valls, dans son discours de clôture, a indiqué qu'il n'était pas question de re-centraliser ce qui a été décentralisé. La route est encore longue !

FAGE : Fin Novembre auront-lieu les élections des représentants d'étudiants au CROUS. C'est une échéance dont l'importance prend tout son sens non ?

C.D-T : Depuis quelques années maintenant, les étudiants sages-femmes sont représentés au sein des conseils d'administration du CROUS. Actuellement nous avons 8 représentants. Nous nous sommes investis depuis le début de notre mandat pour communiquer sur les rôles du CROUS et l'importance de représenter les étudiants sages-femmes pour appuyer leurs problématiques. Les étudiants sont mobilisés et nous leur avons fortement conseillé de se rapprocher de leur fédération territoriale pour préparer ces élections CROUS.

M.A : Nous avons mobilisé tous nos administrateurs sur cette question lors de notre dernier conseil d'administration. Un document succinct et simple résumant l'ensemble de nos questions sociales actuelles et l'ensemble des positions de la FAGE a été mis en place. Les associations qui se seront saisies de ces problématiques pourront ensuite informer les étudiants. Nous comptons en rajouter une couche lors de notre congrès annuel les 24, 25 et 26 octobre en conseillant vivement aux associations de se rapprocher de leurs fédérations territoriales.

Nous prévoyons une bonne mobilisation des étudiants en ergothérapie au niveau des votes.

A.J : Nous essayons également que les étudiants soient plus engagés dans la vie étudiante, et qu'ils aillent voter, même si parfois les administrations n'y mettent pas toute la bonne volonté en mettant les urnes très loin des lieux de passage ... Il faut qu'il y ait plus d'élus défendant les droits des étudiants en psychomotricité au sein des CROUS !

A.M : Les étudiants en kinésithérapie sont sensibilisés et motivés pour le jour-J ! Comme ce sont pour beaucoup d'entre nous les seules élections étudiantes auxquelles on peut participer, on va mettre le paquet !

L.M : Nos perspectives ne changent pas : transfert de la compétence et de la gestion des bourses régionales au CROUS. Mais si déjà nous arrivons à rapprocher les CROUS des régions, à créer des dossiers uniques (comme certaines régions l'envisagent déjà), à permettre une meilleure communication auprès des étudiants infirmiers et sensibiliser les CROUS sur nos problématiques ... ce sera une belle avancée.

On espère une bonne mobilisation. Tout a été fait pour mobiliser les fédérations territoriales et les étudiants sur ces élections. Nous mobilisons les associations pour qu'elles fassent ouvrir des sections de vote dans les IFSI et nous avons pu placer des étudiants sur des listes de la FAGE. Cette élection est importante pour l'ensemble des membres de la FAGE. La FNESI, comme l'ensemble des fédérations, se mobilise activement !

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