Fin de la trêve hivernale : le gouvernement peut changer la donne !

29/03/16

Le 31 mars signe la fin de trêve hivernale et le retour des expulsions de locataires, avec des conséquences parfois extrêmement graves pour certaines personnes. Cette date est ainsi l’occasion de rappeler qu’une réelle crise du logement touche de nombreuses personnes en France, crise à laquelle une politique publique ambitieuse doit apporter des réponses pérennes.

La fin de la trêve hivernale et le retour des expulsions, une source d’angoisse pour de nombreuses familles

Demain (le 31 mars), la trêve hivernale qui empêche les propriétaires d’expulser leurs locataires arrivent à sa fin. Instaurée grâce à l’Abbé Pierre en 1954, celle-ci s’étend désormais du 1er novembre au 31 mars. Les expulsions vont donc reprendre, mettant en lumière, une nouvelle fois, la réelle crise du logement que subit une partie de la population française. Les expulsions concernent principalement les locataires en situation d’impayés de loyers (à 96%).

Des expulsions plus nombreuses

Si l’année 2016 suit la tendance des dernières années, les expulsions seront certainement plus nombreuses qu’en 2015 et impliquant plus souvent la force publique (la police). D’une part, le nombre de procédures d’expulsion pour loyers impayés augmente : (+ 4,8 % entre 2013 et 2014, soit 132 016 procédures)1. En parallèle, 11 604 ménages auraient été expulsés avec le concours de la force publique en 2014, soit 15 % de plus qu’en 2013. Il est très difficile d’avoir un réel suivi statistique du nombre effectif d’expulsions puisque de nombreux ménages partent avant que la police se rende chez eux, bien que n’ayant aucune solution de relogement. Ce n’est donc pas une expulsion sous la force qui a lieu, mais bien sous la contrainte. Pour la Fondation Abbé Pierre, on assiste à un durcissement des autorités judiciaires. Une tendance qui s’explique entre autres par une budgétisation insuffisante du montant des indemnités accordées aux propriétaires lorsque le recours à la force publique est refusé par l’Etat. En même temps, la hausse du chômage et de la précarité de l'emploi des jeunes ont fragilisé les locataires, qui sont ainsi plus nombreux en situation d’impayés de loyer. Une tendance nouvelle est d’ailleurs celle de l’augmentation des expulsions dans le secteur locatif social. Il faut bien comprendre que, dans la grande majorité des cas, les locataires en impayés de loyers ne sont pas de mauvaise foi mais sont en incapacité réelle de payer leur loyer. Une perte d’emploi, un décès, un problème de santé…, les causes sont nombreuses qui peuvent empêcher les locataires de payer leur loyer. Si la procédure conduit à l’expulsion, le ménage peut très vite basculer dans un cercle vicieux de grande précarité.

Des expulsions illégales qui ne respectent pas le DALO

Certaines expulsions se produisent aussi dans la plus grande illégalité, par exemple lorsque les propriétaires souhaitent expulser leurs locataires pour pouvoir revendre ou louer plus cher leur bien ou lorsque celles-ci concernent des locataires prioritaires au titre du droit au logement opposable (DALO). Le DALO est inscrit dans la loi depuis 2007. Dans ce cadre, une personne menacée d’expulsion et n’étant pas en situation de se reloger par elle-même peut être reconnue prioritaire et urgente pour l’accès à un logement social. En cas d’absence de proposition de relogement, l’État est condamné à des astreintes financières. Depuis octobre 2012, la circulaire Valls/Duflot demande aux préfets de ne pas procéder à l’expulsion des personnes bénéficiaires du DALO, tant qu’une possibilité de relogement ne leur a pas été proposée. Or, plusieurs cas d’expulsions de ménages qui devraient bénéficier du droit au logement opposable ont été recensés2.

Les expulsions pour loyers impayés, un des indicateurs de la crise du logement

L’augmentation du nombre d’expulsions pour loyers impayés est un indicateur de l’augmentation de la précarité en France. Le 21ème rapport sur l’état du mal-logement de la Fondation Abbé Pierre le montre bien : depuis la crise de 2008, les inégalités se creusent, les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Alors que 8,6 millions de personnes vivaient dans la pauvreté en 2014, elles étaient 7,8 millions en 2008. Cette accentuation des inégalités a de réelles conséquences sur le logement. Le rapport montre ainsi qu’il y a actuellement 3,8 millions de personnes mal logées et 12,1 millions de personnes fragilisées par rapport au logement. Ces chiffres sont en constante augmentation et sont les indicateurs d’une situation extrêmement préoccupante, d’une réelle crise du logement. Entre coût extrêmement élevé du logement dans le secteur privé, qui demande un taux d’effort considérable aux ménages (le taux d’effort moyen - c’est-à-dire la partie du budget du ménage consacrée au logement - de 17,4%), et pénurie de logements sociaux, nombreuses sont les personnes qui peinent à accéder à un logement dont le coût leur est supportable, expliquant en grande partie le nombre important de personnes en situation d’impayés de loyers.

La crise du logement concerne aussi les jeunes

Les jeunes font partie des premières victimes de cette crise du logement. Les moins de 30 ans représentent la part de la population pour laquelle le taux d’effort a le plus augmenté au cours des dernières années. Rappelons d’ailleurs que les étudiants consacrent aujourd’hui environ la moitié de leur budget mensuel à leur logement, celui-ci représentant donc leur premier poste de dépense. Exposés à une réelle pénurie de logements sociaux étudiants (ceux fournis par les CROUS), de nombreux jeunes sont contraints de se loger dans le parc privé, dont le coût est parfois exorbitant. Dans les zones tendues, notamment en Ile-de-France, les étudiants sont contraints soit de se loger très loin de leur lieu d’études soit dans un logement de très petite surface. D’autre part, les jeunes ne sont pas exempts des discriminations (basées sur l’origine sociale, la couleur de peau…) qui touchent de nombreuses personnes lorsqu’elles souhaitent accéder à un logement.

Le logement, un enjeu aux multiples facettes

Il est d’autant plus crucial de prendre conscience du constat alarmant de la crise du logement que la France traverse alors que celui-ci recouvre de nombreux enjeux sociaux et sociétaux.

Le logement est en effet un déterminant important de la situation socio-économique d’une personne et une situation de mal-logement peut entraîner précarité, déclassement et éloignement de l’emploi. La capacité à se loger dans une ville donnée peut déterminer la capacité d’une personne à accéder à un emploi, tout comme à accéder aux études de son choix. Le logement, qui devrait être un levier de mobilité sociale pour permettre à chacun de vivre la vie qu’il souhaite, se révèle être un obstacle à celle-ci en accentuant les inégalités plutôt qu’en les gommant.


D’autre part, le logement est un facteur de santé publique. Des conditions indécentes de logement peuvent causer de nombreuses maladies, notamment chez les enfants : maladies respiratoires, intoxication à l’amiante, saturnisme… L’intoxication au monoxyde de carbone touche 5 000 personnes par an, dont une centaine qui en meurt. De plus, le mal-logement peut avoir des conséquences graves sur la santé mentale et psychiatrique, tout comme les maladies psychiatriques sont un facteur de perte de logement. Il est ainsi aisé de voir que le logement est à la croisée de nombreux facteurs qui influent sur la situation socio-économique des personnes. Il y a donc un réel enjeu de justice sociale à permettre à chacun d’avoir accès à un logement décent à un coût soutenable.

Des responsabilités à assumer et des lois à faire respecter

Pour cette raison, tous les acteurs, privés comme publics, doivent prendre leurs responsabilités, en respectant les lois, en les faisant respecter et en promulguant de nouvelles.

Ainsi, puisqu’un nombre suffisant de logements sociaux pourrait endiguer en grande partie le nombre d’expulsions en diminuant le nombre de ménages en situation d’impayés de loyers, les communes doivent prendre leurs responsabilités et respecter les quotas de logements sociaux que la loi SRU impose (20% minimum dans les communes de plus de 3500 habitants). Les communes récalcitrantes doivent être plus sévèrement punies et les préfets doivent voir leur pouvoir de préemption de terrain renforcé, ce qui sera peut-être permis par la loi égalité citoyenneté.

D’autre part, les préfets doivent aussi prendre leurs responsabilités en appliquant la circulaire Valls-Duflot de 2012, qui les somme de trouver des solutions de relogement avant d’expulser les ménages prioritaires au titre du DALO.

Ensuite, l’Etat doit mettre en oeuvre les moyens d’un réel droit au logement opposable, avec entre autres, une réelle politique de prévention et d’accompagnement des personnes à risques d’impayés de loyers. Il est d’ailleurs utile de noter que les associations engagées dans l’accompagnement des locataires sous procédure d’expulsion mettent en avant qu’une réelle de politique de prévention et de construction de logements sociaux coûterait moins à l’Etat que les sommes qui sont dépensées pour reloger dans l’urgence les personnes en grande détresse. A ce titre, il est extrêmement dommage que le Gouvernement ait fait marche arrière sur la Garantie Universelle des Loyers, alors que celle-ci aurait permis de protéger les bailleurs des impayés et les locataires des expulsions, avec les graves conséquences que l’on connaît. A défaut de mettre en place la GUL, le gouvernement devrait déjà créer un dispositif de cautionnement étatique à destination de tous les jeunes, et non réservé aux étudiants ou aux jeunes qui entrent en emploi, tel que c’est actuellement le cas. Il ne faut en effet pas oublier qu’il y a aujourd’hui en France 2 millions de NEETs, des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation et qui pour une bonne partie ne peuvent plus vivre chez leurs parents. D’autre part, il est nécessaire d'accélérer la mise en place de l’encadrement des loyers dans toutes les agglomérations concernées, alors qu’il n’est effectif qu’à Paris pour le moment. Enfin, il est nécessaire que l’Etat garantisse des subventions suffisantes à destination des CROUS pour que ceux-ci puissent continuer suffisamment construire et rénover des résidences universitaires, dans le cadre du Plan 40 000 logements et au-delà, pour ainsi garantir suffisamment de places dans le parc social étudiant.

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