Loi de programmation pluriannuelle : l’analyse de la FAGE

07/07/2020

Un besoin de dialogue

Le projet de loi de programmation de la recherche, annoncé par le Premier Ministre en début d’année 2019 est finalement passé au CNESER le 18 juin dernier, après avoir été rendu public le dimanche 7 juin. La FAGE ne peut que regretter le manque de dialogue social sur ce projet de loi, lié d’une part au manque de concertation en amont, et d’autre part au délai imposé par le ministère pour étudier le texte.

Ce projet, bien qu’il soit passé en CNESER peut encore connaitre des modifications, notamment lors de son passage au parlement. Voici les positions que défend la FAGE : 

Un investissement en décorrélation avec les besoins

Parmi les premières annonces faites par le MESRI autour de la LPPR, un des principaux objectifs consiste à soutenir les jeunes chercheurs dans leurs premières années de carrière. Les doctorants sont en effet les premiers touchés par la précarité, avec 25,6% d’entre eux réalisant une thèse sans financement dédié. Cette situation n’est plus acceptable, c’est pourquoi il est décevant ne pas retrouver cette sécurité lors de l’étude de ce projet. En effet, malgré des objectifs votés en annexe, rien ne vient garantir le financement de toutes les thèses. 

La FAGE salue par ailleurs l’objectif de revalorisation de 30% du salaire des doctorants d’ici 2023 ainsi que l’augmentation du nombre de doctorats financés au travers de cette loi à hauteur de 20% pour les thèses universitaires et de 50% du financement des thèses CIFRE. Malheureusement, le retard accumulé ces dernières années ne permettra en aucun cas d’atteindre les objectifs fixés par la STRANES des 20 000 doctorants diplômés par an en 2025 au regard du nombre de doctorant diplômé en 2018 (14065) même avec cet investissement.

Par ailleurs bien que l’investissement prévu dans le cadre de la LPPR soit important, il n’est pas à la hauteur pour répondre au sous-financement que connaissent l’enseignement supérieur et la recherche depuis trop longtemps et ce sur de nombreux point :

  • La revalorisation salariale se fait de manière indemnitaire : une composante de base revalorisée ; une composante correspondant à une mission renforcée, (innovation, direction d’études) ; une composante individuelle constituée des primes existantes (prime d'encadrement doctoral et de recherche), à laquelle pourront s'ajouter des dispositifs comparables comme la prime de reconnaissance de l'investissement pédagogique. Ainsi, par ces différents facteurs, la revalorisation généralisée est en deçà des espérances de la communauté scientifique. Cette revalorisation n’est en rien une revalorisation de la grille indiciaire, de la fonction publique de l’enseignement supérieur de la recherche de et l’innovation, attendue depuis tant d’années alors même que la rémunération des enseignants-chercheurs est largement en dessous de celle de nos pays voisins.

  • De plus l’augmentation de la masse salariale prévue par cette loi est réfléchie sur les besoins de la recherche et ne prend que trop peu en compte les besoins de l’enseignement supérieur alors que le manque d’enseignant chercheur est alarmant au regard du taux d’encadrement qui ne cesse de diminuer depuis 2013. 

Enfin les investissements les plus importants prévus par cette loi ne seront mis en place qu’à partir de 2024, alors que le besoin est immédiat. Cet investissement bien qu’il soit acté par cette loi n’assure en rien que l’engagement sera poursuivi par les prochains quinquennats. En effet, le texte de loi prévoit la possibilité d’une actualisation de ce budget. Un investissement plus important sur les premières années de cette loi aurait permis une assurance et une confiance plus grande.

Les recrutements contractuels,l’éloignement d’une titularisation ?

Cette loi vient également apporter de nouveaux cadres juridiques au niveau des recrutements de chercheurs et jeunes chercheurs. Elle crée ainsi 5 nouveaux contrats de travail permettant de recruter ces derniers. 

L’article 3 vient permettre le recrutement de jeunes docteurs et d’enseignants chercheurs avec un objectif de titularisation à la fin du contrat à durée déterminé. Ce dispositif connu sous plusieurs noms “Chaire junior” ou encore “tenure track” vient considérablement bousculer le processus de recrutement du corps de professeur d’université ou de directeur de recherche en créant une voie élitiste réservées aux “meilleurs” et sans pour autant garantir une sécurité d’emploi à la fin de ce contrat. Par cette voie, le MESRI instaure une concurrence directe pour les jeunes chercheurs entre eux, et face au reste de la communauté universitaire. En effet, un jeune chercheur pourra se voir titulariser comme professeur des universités en 6 ans, sans passer le diplôme (l’habilitation à diriger des recherches) et le concours nécessaire. La mesure, visant à renforcer l’attractivité du doctorat selon le ministère, ne vient en réalité répondre qu’à une infime réalité et passe totalement à côté. 

Les contrats post-doctoraux de droit public, bien qu’ils répondent en apparence, à des besoins existants, ne peuvent être la réponse à un manque cruel de poste de titulaire dans la fonction publique de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation. Bien que les dispositions concernant l’accompagnement et la possibilité d’accéder à des responsabilités scientifiques sont intéressantes, ces contrats viennent simplement assumer de fait qu’après une thèse l'espérance d’accéder à un emploi permanent pour un jeune chercheur ne peut se faire qu’après plusieurs années d’expériences de recherche. 

Le pendant de ces contrats dans le privé : les contrats post-doctoraux de droit privé, se dotent du même caractère précarisant. La durée ne peut excéder 4 ans et le contrat peut être renouvelé d’une année par deux fois, empêchant toute possibilité de se projeter dans un projet d’avenir tant la sécurité de l’emploi n’est pas assurée. 

Un acquis positif pourrait émerger de ce projet. Les contrats doctoraux de droit privé viennent en effet répondre à un besoin nécessaire aujourd’hui au sujet d’un cadre juridique adéquat pour la réalisation d’une thèse CIFRE, et le cas échéant permettre sa prolongation au-delà des trois ans dans les cas qui sont nécessaires. Toutefois cette disposition de la loi manque de garanties sociales aux sujets des indemnités lors de la rupture de ce contrat ou lorsque celui-ci n’aboutit pas à une embauche en CDI. La prime de précarité, habituellement accordée à l’employé à la fin d’un CDD, n’est pas prévue pour un doctorant de droit privé, par dérogation au code du travail. Cette dérogation est en opposition avec les conditions d’insertions professionnelles des doctorants.

De fait l’assurance que devait donner cette loi concernant une sécurisation de l’emplois et la revalorisation des métiers de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ne peut qu’être remise en cause au regard de cette multiplication de contrat et de leur condition d’exécution.

La loi et ses “à côté”

Ce n'est pas sans surprise que nous avons découvert, lors de l’étude du projet de loi, des dispositions diverses et variées apportant des modifications au code de l’éducation, à la gouvernance des établissements, à la ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentaux ou encore les nombreuses ordonnances que pourrait prendre le gouvernement à postériori de cette loi. 

L’article 18 comporte des éléments sur la réalisation de stage pendant les périodes de césure et en dehors d’un cadre pédagogique. Cette mesure, non travaillée avec les organisations, laisse s’entrouvrir une porte dangereuse : dénaturer une période de césure pour la transformer en une année d’étude supplémentaire, ou l’étudiant n’est pas libre de son choix. 

L’article 19 prévoit la ratification de l’ordonnance permettant l’expérimentation de nouveau mode de regroupement, sur laquelle la FAGE, a souligné à de nombreuses reprises les dérives qu’elles entrainent sur, entre autres, la représentation des étudiants.

Enfin l’article 21 permet d'adopter un grand nombre d’ordonnance qui ne concernent peu voire pas la recherche. Parmi celle-ci, on trouve notamment une ordonnance sur les établissements privés d’enseignement supérieur. Cette loi ne doit pas permettre au ministère d’adopter des mesures à la va vite et sans dialogue. Si un travail est nécessaire sur l’encadrement des établissements et des formations d’enseignement supérieur privé, il est inenvisageable pour la FAGE que celui-ci se déroule par le biais d’ordonnances prise de manière unilatérale et sans aucune concertation des parties prenantes.

Pour conclure, l’investissement prévu par cette loi est de loin un des plus gros investissements que la recherche n’ait jamais connu, mais la trajectoire budgétaire ne répond pas aujourd’hui aux besoins immédiats de la recherche et de l’enseignement supérieur. De plus, l’introduction de mesures dites de “simplification” ainsi que le manque de garanties sociales sur les différents contrats introduits par cette loi, ne nous permettent pas d’être en faveur de ce projet.

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