Le blog du Président de la FAGE

Régulièrement, la présidente ou le président de la FAGE publie une tribune sur des sujets liés à l'enseignement supérieur et la recherche, à la jeunesse ou à la société.

Vous pouvez également y retrouver des articles de ses prédécesseurs Paul Mayaux, président de 2020 à 2022, Orlane François, présidente de 2018 à 2020, Jimmy Losfeld, président de 2016 à 2018 ainsi qu'Alexandre Leroy, président de 2014 à 2016.

30/08/2016

Master : Thierry Mandon n’a plus d’excuses pour ne pas agir !

La fragilité juridique de la sélection qu’opèrent nombre d’établissements entre le master 1 et le master 2 n’est une nouveauté pour personne. Créé en 1999, le master est, aujourd’hui encore, régi par un arrêté datant de 2002. C’est sur la base des dispositions de cet arrêté que s’organise depuis plusieurs mois la bataille juridique opposant des étudiants refusés en master 2 et les universités ; les premiers arguant de l’illégalité de la sélection, les second faisant valoir leur supposé bon droit à trier les étudiants entre deux années de master. A l’heure actuelle les jugements ont, dans leur quasi-totalité, conclu à l’illégalité de la sélection opérée par les universités entre le M1 et le M2.

Le Conseil d’Etat, dans un avis qu’il a rendu public aujourd’hui, confirme cette lecture et rappelle qu’en l’état des textes, les universités ne peuvent pas légalement opérer de sélection. Si l’arrêté de 2002 fait état d’une liste, devant être publiée par décret, sur laquelle figurent les masters pour lesquels cette sélection est possible, ledit décret n’a jamais été signé ni publié. S’il ne surprend personne, cet avis devra entrainer une réponse politique, déjà promise par Thierry Mandon pour décembre 2015, et dont nous n’avons, à l’heure actuelle, jamais vu la couleur !

Cette réponse, le ministère devra l’apporter à la question suivante : « Que voulons-nous faire de notre master ? ». Plus que la question de la sélection, celle que l’on pose est bien celle de l’organisation d’un cycle, de l’objectif même qu’on confère à ce diplôme « phare de l’université » dans un contexte de concurrence forte avec les écoles privées et celle de la place de la France dans l’espace européen d’enseignement supérieur.

Le master tel que nous le connaissons aujourd’hui souffre d’un manque d’unité et de cohérence résultant d’un déficit continu de volonté politique depuis quinze ans. Créé pour rassembler sous une appellation unique un ensemble de titres de niveaux comparables afin de créer un diplôme standard bénéficiant d’un niveau élevé de spécialisation et répondant aux enjeux de Bologne, le master n’a définitivement pas atteint ses objectifs. Il n’a pas permis de mettre fin à la dichotomie qui existait entre DEA et DESS et de construire une formation cohérente et progressive de quatre semestre. L’articulation entre la licence et le master, alors que ce dernier souffre d’une première année qui tend à être rendue de plus en plus propédeutique, n’est pas non plus idéale et nuit à une réelle spécialisation progressive des enseignements. Le constat peut ainsi se résumer au fait qu’en quinze ans, nous ne nous sommes servis de Bologne que pour copier-coller l’existant dans un cadre nouveau. Ceci sans nous réinterroger sur les continuités et ruptures souhaitables, ni sur la manière dont le cycle master devait s’organiser.

Aujourd’hui comme hier, la question du master se situe à la croisée de trois pressions : celle du besoin d’augmentation du niveau de qualification de la population prenant en compte la parole et le besoin de l’écosystème, celle de l’enjeu de former, à l’Université, des cadres dotés de compétences réflexives, pluridisciplinaires et suffisamment spécialisées tout en assurant la démocratisation effective de la réussite au sein d’un diplôme qui est, rappelons-le, le meilleur gage actuel d’emploi pour les jeunes.

A cette question complexe, qui devrait supposer une réponse ambitieuse et concertée, je crains qu’on ne propose comme solution que celle de la facilité, du court-terme et de l’absence de courage. En effet, un certain nombre de voix s’élèvent depuis un an pour réclamer la publication d’un simple décret qui permettrait, aux yeux de la loi et selon les dispositions de l’arrêté master, aux universités d’opérer à leur guise une sélection entre les deux années du master. Pire, à l’instar de l’UNEF, certaines organisations syndicales se font idiots utiles de l’immobilisme sur la question. Avec comme base d’accord le fait qu’en contrepartie de la sélection, l’établissement qui l’opère soit obligé de proposer une poursuite d’étude à chaque étudiant, ces organisations prennent, à travers un statu quo mou et dangereux, trois risques importants :

  • Le premier risque est de créer automatiquement une stratégie de dédoublement de l’offre de formation. Celle-ci, comme on peut d’ores et déjà le constater dans plusieurs établissements, proposera d’une part des « master-vitrine », très sélectifs et dotés de moyens et d’autre part des « master-garages », moins financés, n’existant que pour permettre à l’université de satisfaire à la loi, c’est-à-dire de proposer à tous ses inscrits en première année de master une poursuite d’étude.

  • De plus, cela va encourager les stratégies de contournement. La pression de l’emploi pesant sur les jeunes est énorme et on leur répète à longueur de journée que le master est le sésame pour l’emploi. Nous assistons déjà à des stratégies montées par les étudiants, visant à opérer une mobilité dès le M1 en espérant avoir « plus de chances » d’accrocher le M2 de leur rêve s’ils sont inscrits dans l’établissement. Généraliser la sélection entre M1 et M2 en obligeant parallèlement les établissements à répondre à toutes les demandes d’inscription en M2 risque d’amplifier ce phénomène, et de saturer de nombreuses universités dès la première année de master. Que se passera-t-il alors ? Très probablement la priorité donnée aux étudiants diplômés d’une licence de l’établissement. A ce moment, ces mêmes stratégies se mettront en œuvre dès le lycée, afin d’être certain d’intégrer, dès 18 ans, l’établissement de son choix. Ce choix étant basé sur le M2 visé. Cette crainte ne relève pas de la fiction, les exemples sont d’ores et déjà nombreux et nous interroge sur la grande discrimination sociale qu’un système organisé de la sorte met en place. Car en effet, accéder au master 2 de ses rêves supposera de bénéficier du capital socio-culturel suffisant pour se repérer de manière très précoce dans la carte de formation universitaire et d’avoir les moyens financiers de se rapprocher géographiquement, dès le lycée de l’université visée. C’est la fin de l’égalité républicaine, et le début d’un système d’orientation oligarchique et ségrégatif.

  • Enfin, ce statu quo ne permettra pas de réinterroger l’organisation actuelle du master et d’engager une réforme ambitieuse de ce cycle. Il est pourtant aujourd’hui impératif de permettre, dans un cadre national clair et défini, aux équipes d’organiser avec plus d’autonomie pédagogique des formations cohérentes, progressives et articulées autour de quatre semestres solidaires.

Il ne tient qu’à la communauté universitaire de vouloir plus qu’une énième rustine collée sur l’épave de ce qui devrait être aujourd’hui le master français. Depuis près d’un an, la FAGE propose, notamment dans le cadre des réflexions du comité de suivi du master, une réforme globale visant à :

  • Supprimer totalement la sélection entre M1 et M2

  • Garantir à chaque étudiant diplômé de licence l’accès à un master de son choix

  • Permettre, grâce à la création d’une plateforme d’orientation (type APB) l’organisation à l’échelle nationale des vœux et des inscriptions en master

  • Organiser avec plus d’ambition un master de quatre semestres, et non plus de deux fois deux semestres.

Cette plateforme d’admission post-licence permet ainsi de répondre à la fois à la pression de la régulation des flux d’orientation et à l’impératif collectif de démocratisation d’accès et de réussite au master qui suppose que notre système puisse garantir à de plus en plus de jeunes l’accès à un des masters de son choix, compatible avec sa mention de licence. Et ce, sans lui faire miroiter de manière populiste la garantie de décrocher une place dans LE master de son choix, ni recourir à la généralisation de la sélection.

Si elle permet de réorganiser avec ambition le master, de garantir à la fois l’accès au master et la régulation des flux, la création d’une plateforme d’admission post-licence permettra aussi de diminuer l’impact des déterminants sociaux sur l’orientation. En effet, à l’heure actuelle, l’inscription en master est synonyme de parcours du combattant. Obligation de certains établissement de dépôt physique du dossier, refus de rendez-vous en visio-conférence, absence d’une plateforme recensant l’ensemble de l’offre de formation et présentant les informations essentielles… rien n’est fait pour faciliter les démarches des étudiants, et comme toujours, les premiers à en souffrir sont les plus fragiles. Ils pourront au passage remercier ceux de leurs représentants syndicaux qui dans la bataille, à l’instar de l’UNEF, jettent toutes leurs forces pour que rien ne change.

Il est de notre responsabilité, à deux ans de la prochaine conférence interministérielle du processus de Bologne, de prouver que la France sait transcender les immobilismes pour réinterroger son système d’enseignement supérieur dans le sens du progrès collectif. L’attitude clientéliste et hautement délétère consistant à s’enfouir la tête dans le sable en prétextant qu’il n’y a rien à voir ne respecte pas l’intérêt des jeunes ; elle est coupable !

En définitive, le master est aujourd’hui au cœur de nombreux enjeux pour l’université. Dans un contexte de forte concurrence nationale et internationale il est impératif pour notre modèle public d’enseignement supérieur de pouvoir compter sur un diplôme de spécialisation, fortement adossé à la recherche, lisible et compatible sur le plan européen. Alors que la France a été, et reste, un des moteurs du processus de Bologne, il est urgent d’en devenir un des bons élèves en faisant de notre master un diplôme de haut niveau cohérent, ouvert au dialogue avec les acteurs de son éco-système, et répondant aux objectifs collectifs de diplomation des jeunes. Pour toutes ces raisons, il est peut-être temps, pour le ministère, de faire du sujet master, non plus un sujet politicien géré de manière clientéliste, mais bien un sujet de formation, de fond pensé de manière stratégique.

Alors qu’il a produit un mémoire en défense justifiant la sélection et défendant sa légalité au regard des textes existants, et ce malgré ses déclarations (notamment devant les militants de la FAGE), le ministère aura rapidement à clarifier ses intentions, et devra cesser de botter en touche.

C’est pourquoi je demanderai pour la FAGE, suite à la présentation de l’avis du conseil d’Etat, à Thierry Mandon d’organiser une concertation de l’ensemble des parties prenantes afin de mettre rapidement sur pied une réponse au sujet du master.

Tribune rédigée par Alexandre Leroy, Président de la FAGE de 2014 à septembre 2016.

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