Lettre à ma chère France

04/06/2014

Ma chère et tendre France,

Ma chère et tendre France,

Ce soir, j'avais envie de t'écrire. Je sais que rien de ce que je ne pourrais te dire changera quelque chose à cette situation. Mais j'en ai besoin, profondément.

Quand j'étais un enfant, tu m'avais appris le sens de la démocratie, celui de la république. Quand j'étais dans ton l'école, tu m'as appris à aimer mon pays, à en être fier, notamment pour ses valeurs. Tu m'as aussi transmis l'amour de notre histoire et la capacité de la regarder avec dignité tout en préservant un sens critique et une forme certaine de recul sur tout ça. Tu m'avais d'ailleurs dit qu'il ne fallait pas oublier tout ce qu'il avait pu se passer pour éviter de refaire les erreurs, et de ne pas replonger l'histoire de l'Humanité dans la pénombre.

À cette époque, toi et d'autres de tes enfants, m'avaient permis de comprendre le sens de la citoyenneté, le sens de la démocratie, le sens de la construction européenne. Et aussi tout ce que pouvait représenter un vote et la chance que l'on avait de pouvoir jouir de ce droit.

Mais aujourd'hui, ma chère France, je suis perdu, égaré, désemparé. C'est comme si tout ce tu m'avais appris était vidé de son sens. Je ne peux croire que tu m'aurais menti. Je ne peux m'y résoudre. Moi non plus, je n'oublie pas que les temps sont durs, et je ne veux pas dramatiser la victoire d'un parti dans un vote où une minorité de Français se sont exprimés. Mais ce soir, mon cœur pleure quand même.

Il pleure l'abandon de nos valeurs, de ce que nous sommes, en tout cas, de ce que tu m'as toujours dit que nous étions censés être et incarner. Quand ma famille est arrivée en France, elle avait cet espoir. Celui d'un pays fier de son sens de l'égalité, de ses croyances profondes en la liberté, et surtout de sa conviction en la fraternité. Tu nous as d'ailleurs laissé toute la place nécessaire à notre épanouissement et aujourd'hui nous sommes tes enfants, à part entière.

Tu te souviens de cette vertu que tu m'as tant enseigné: la Fraternité? Moi oui, je n'ai rien oublié de tout ça, même si ce soir elle m'apparaît presque superficielle, comme quelque chose qu'on inscrit par nécessité, puisqu'il n'est pas vraiment concret. Tu sais, c'est le procédé qu'utilisent certains régimes pour faire croire à l'opposé de la réalité: République populaire de Chine, République démocratique d'Allemagne de l'Est, République populaire démocratique de Corée du Nord... S'il te plait, dis moi que tu te souviens de tout ça, c'est toi-même qui l'as inscrit dans mes gènes!

Si je te dis tout ça, c'est que les idéaux dans lequel tu m'as élevé aujourd'hui me semblent perdus. Et pourtant, j'ai envie de rester fier de tout ce que tu m'as appris, ce sont désormais mes valeurs, autant que les tiennes, non? J'ai envie de rester ici, à tes côtés, de ne pas me sentir exilé dans mon propre pays. J'ai envie de me dire que cette idée d'une France à la hauteur des ambitions que tu as mises en nous est toujours possible. J'ai envie de me dire que, oui, ce n'est pas parce que les temps sont difficiles, pour tout le monde, que nous devons oublier ce que nous sommes.

Et pourtant, j'ai l'impression de ne plus en avoir la force. Je n'ose plus y croire. J'ai l'impression d'être un enfant orphelin. Orphelin de mes espoirs, de mes rêves, de la conception de ma propre identité, de notre identité. Pourtant, tu vois, je serais prêt à te pardonner tellement de choses, que parfois tu n'es pas toujours au rendez-vous, que peut être tu pourrais améliorer notre situation, notre vie de tous les jours, notre devenir. Mais pas ça, pas l'abandon de tes valeurs: cela serait simplement trop dur pour moi à supporter. Je ne peux m'y résigner.

S'il te plait, dis moi que tout ceci est une erreur, que c'est juste parce que peu d'entre nous ont pris la peine de te souffler au creux de l'oreille leurs réelles attentes, leurs réelles convictions, leurs réels espoirs. Dis moi que, malgré tout, malgré ses défauts, malgré ses travers, tu crois toujours en ta grande sœur l'Europe. Dis-moi que le mélange des cultures, l'union dans la diversité, la collaboration internationale et la démultiplication de nos opportunités font toujours parti des choses qui t'animent.

Re-dis moi tout ça, murmure-les moi au creux de l'oreille, sans t'arrêter. J'en ai besoin pour savoir qui je suis, qui tu es, qui nous sommes et surtout quels choix je devrais faire pour la suite de notre histoire.

Re-dis moi tout ça, pour ne pas que je te quitte. Dans ce monde qui me dépasse souvent, j'ai besoin de pouvoir toujours t'identifier comme un exemple, comme la muse qui m'inspire chaque matin et comme le réconfort qui me fait voir demain sous un jour plus beau, ou au moins comme un jour où nos valeurs et tout ce que nous avons construit ensemble a encore du sens.

S'il te plait, redeviens toi-même, redeviens celle dans les yeux de qui les miens pourront continuer de se perdre à tout jamais tant nos valeurs et nos espoirs s'y reflètent.

Mon amour, je t'en supplie, pour moi et pour tous tes enfants, continue à faire battre plus fort dans ton cœur et dans le notre la Liberté, l'Égalité et surtout la Fraternité. Je t'en conjure, sous peine de me voir perdre tout espoir et toute foi en notre histoire, pourtant si belle et si jeune, notre histoire d'amour...

Tendres baisers.

Dorian Cessa, élu étudiant à l'Université de Lorraine pour Fédélor - FéDEN membre de la FAGE, au sortir des élections Européennes.

Lettre publiée sur le Huffington Post, le 26 mai 2014, consultable ici.

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