Polytechnique, ou le renoncement à l’intérêt général

06/01/2016

L’Ecole Polytechnique (dite l’X) est une école publique militaire d’ingénieurs française, fondée en 1794 par Napoléon Ier. Cette école, sise à Palaiseau, fait partie des membres fondateurs de la Communauté d’Universités et d’Etablissements Université Paris Saclay et est une des plus connues dans le monde entier.


Avatar d’un système fermé de reproduction d’une certaine élite sociale, elle forme près de 3 000 étudiants avec une dotation ministérielle de 65 Millions d’euros par an, en faisant ainsi l’une des écoles les mieux dotées du pays.

Les faits

A la mi-décembre, le Ministre de l’économie, Emmanuel Macron, le Ministre de la défense, Jean-Yves le Drian et le Secrétaire d’Etat à l’Enseignement Supérieur et la Recherche, Thierry Mandon se sont tous trois déplacés pour dire l’importance qu’accorde le Gouvernement à cette école et pour lui annoncer un cadeau d’ampleur : une augmentation de 60 millions d’euros de son budget sur les cinq prochaines années. Dans le même temps, la Fondation annonce la volonté de financer le doublement de cette augmentation de dotation. C’est donc d’un budget de près de 250 millions d’euros dont l’X devrait disposer en 2020, soit l’équivalent du budget d’une université de taille moyenne pour autant d’étudiants qu’une grande promotion de PACES.

Paradoxalement, cette augmentation de budget est voulue pour financer un programme de Bachelor en 3 ans, dont l’accès même coûterait plus de 10.000 euros par an ainsi que le recrutement d’enseignants-chercheurs du monde entier ou encore la construction d’un internat d’excellence.

Dans le même temps, ce sont 65 000 étudiants supplémentaires qui se sont inscrits dans notre système d’enseignement supérieur, tandis que le gouvernement nous gratifie d’une mesure compensatoire clamée comme d’une augmentation de 165 millions d’euros.

Pourtant, le 6 octobre, Thierry Mandon évoquait la faisabilité d’investir à hauteur d’un milliard pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche, qualifiant cette possibilité de « choix politique ». Cette voie aurait permis de répondre au désengagement financier de l’Etat notamment dans le cadre des Contrats Plans Etat-Région (CPER) à hauteur de 2,4 milliard d’euros entre 2015 et 2020, mais également de permettre la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de l’Enseignement Supérieur (StraNES) dans un contexte de transformation profonde et continue de la société ainsi que d’une augmentation démographique.

Le Gouvernement : de la politique à la gestion, de l’intérêt général au renoncement…

Cette annonce s’est tenue dans le contexte de la présentation du nouveau plan stratégique de l’X. Dans une société en évolution permanente, notre système d’enseignement supérieur se doit d’évoluer en conséquence. L’Ecole Polytechnique tâche d’apporter par son nouveau plan stratégique des réponses intéressantes à cette fin et annonce l’évolution de ses formations pour le développement de compétences relevant du savoir-être (soft skills) mais aussi pour promouvoir davantage l’approche par projet. L’Ecole Polytechnique réaffirme sa place dans un écosystème s’ouvrant sur la société et notamment le monde économique en réformant son enseignement de l’économie, en créant un module d’introduction à la vie en entreprise ou encore en impliquant davantage des industriels. L’entrepreneuriat sera également soutenu et l’alternance renforcée au sein des formations. En outre, le nombre de cours en ligne ouverts à tous et proposés par l’établissement doit être multiplié par 10. Enfin, on observe le développement de nouvelles formations ayant vocation à répondre à des besoins nouveaux en termes de qualifications.

Si la création de ces formations et la mise en œuvre de pédagogies ambitieuses ne peuvent qu’être saluées, il ne faut pas omettre que leur développement, et en particulier celui des MOOC, implique un investissement.

Cet investissement, l’Etat a décidé de le concéder pour l’X, grande école de 3 000 étudiants, et seulement pour l’X. Pourtant, cette année, ce sont 65 000 étudiants supplémentaires qui ont rejoint l’enseignement supérieur. Cette augmentation du nombre d’étudiants est primordiale pour répondre à de nombreux enjeux sociétaux. Cependant, l’absence d’effort substantiel de l’état pour les universités limite les perspectives de réponse à l’enjeu de démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. De plus en plus d’établissements voient une solution de facilité en l’émergence de capacités d’accueil quand le numérique et les évolutions des modes d’apprentissage notamment permettent des alternatives intéressantes.

En outre, si l’on peut souligner l’intérêt de développer des formations répondant à l’évolution des besoins en matière de qualification, on ne peut que déplorer la forme dans laquelle ce développement s’opère. Alors que le Cadre National des Formations prévoit le développement de formations expérimentales qui n’entrent pas sur la liste limitative fixant nomenclature des mentions de diplômes nationaux, Polytechnique aura fait le choix de consacrer plus de la moitié de l’investissement exceptionnel de l’Etat dans l’ouverture d’un Bachelor. Avec un prix de l’année de formation supérieur à 10 000€, au-delà d’une simple reproduction des élites sociales, c’est une sélection par l’argent qui s’opère, remettant profondément en question la responsabilité sociale de l’X. Alors que le gouvernement affiche une volonté manifeste d’ouvrir ces formations aux étudiants internationaux, on peut s’interroger sur l’impact en termes de développement et de public cible en regard du coût de ces formations.

Alors que les universités assument une formation de qualité adossée à la recherche pour plus d’un million et demi d’étudiants, elles se retrouvent face à une volonté manifeste du gouvernement de dissocier un enseignement qualifié « de masse » à un enseignement « d’excellence ». Ce présupposé grotesque est entretenu et exacerbé par le Gouvernement en creusant davantage la différence de financement par étudiant entre écoles et universités. Il n’est pas d’établissements d’excellence ou d’établissements de masse, il y a des établissements dotés et d’autres qui le sont autrement moins. Alors que la volonté est de promouvoir la visibilité internationale de l’Ecole Polytechnique notamment par le moyen du classement de Shanghai, pourtant critiquable à plusieurs égards, et malgré cette différence de moyens, l’université Paris Sud parvient à être mieux classée que l’Ecole Polytechnique. Pourtant, le Gouvernement exhorte les écoles d’ingénieurs de la Communauté d’Universités et d’Etablissements Université Paris Saclay à mettre en place un schéma de pôle d’excellence, admettant que l’excellence ne devrait qualifier que leurs propres formations.

Par la formation de ce « pôle d’excellence », le gouvernement ne fait que déséquilibrer la Communauté d’Universités et d’Etablissements, remettant ainsi en cause l’organisation et l’existence de celle-ci. Pourtant la création de Communautés d’Universités et d’Etablissements fait partie des réformes majeures que ce même gouvernement avait entamées. Plutôt que de promouvoir les synergies scientifiques, technologiques et culturelles entre les établissements ainsi que l’interdisciplinarité et l’émergence d’une politique de site commune, par ce moyen, le gouvernement acte et entretient une asymétrie au sein du regroupement.

En ne prenant pas les décisions qui s’imposent, en voyant la formation comme un coût plutôt qu’un investissement, en entretenant un système d’enseignement supérieur à deux vitesses, le gouvernement omet le rôle sociétal dévolu à l’enseignement supérieur et notamment de l’élévation du niveau de qualification tout en faisant fi du coût de la non-formation et de la non-qualification. Il n’appartient qu’au gouvernement d’éviter le point de non-retour et de donner à notre système d’enseignement supérieur les moyens de remplir les missions qui lui incombent en consacrant la priorité jeunesse et l’intérêt général plutôt que la reproduction d’une caste.

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