Compte Personnel d’Activité : poser les bases de la protection sociale du XXIème Siècle

16/03/16

Alors que le projet de loi El Khomri a cristallisé les débats autour des mesures agressives qu’il contenait, peu de médias ont parlé, en tout cas lors de la publication de ce projet de loi, du compte personnel d’activité (CPA) qu’il veut renforcer. Pourtant, le CPA apparaît comme un levier pouvant permettre d’introduire les bases d’une protection sociale moderne, adaptée à notre réalité socio-économique.

Historique de la protection sociale en France

Alors que le CPA pourrait préfigurer ce que sera la protection sociale de demain et à condition de lui donner suffisamment d’ambition, il est intéressant de se pencher sur l’historique de la protection sociale en France pour lire le système actuel à l’éclairage des évolutions passées.

Une origine cléricale et corporatiste qui précède l’étatisation de la protection sociale

Dès le Moyen-Age, on voit pointer des volontés d’aider les individus victimes des risques sociaux. Celles-ci se traduisent par la charité dispensée notamment par l’Eglise et par la solidarité organisée à partir du XIXème siècle des groupes d’intérêts et corporations, structures privées qui regroupaient en leur sein des citoyens de même profession ou catégorie sociale. C’est une logique assurantielle qui régit celles-ci avec un système de cotisations pour un risque identifié de ses membres, qui leur permet ensuite de bénéficier de prestations lorsque le risque devient leur réalité. Petit à petit des dispositifs vont être mis en place par l’Etat et il est classique de faire remonter la première manifestation des politiques sociales publiques à la loi de 1841 interdisant le travail des enfants de moins de huit ans. Au fil du temps, des tentatives de mise en place d’assurance obligatoire en faveur de certains risques sociaux voient le jour. Celles-ci sont concerneront d’abord pour les accidents du travail, puis le chômage, puis pour la maladie. A la veille de la seconde Guerre Mondiale, ce sont ainsi plusieurs régimes d’assurance obligatoire qui cohabitent, sans lien et sans couverture universelle. La création de la Sécurité Sociale va surtout chercher à lier et coordonner ces différents régimes, pour apporter une réponse globale aux risques sociaux des citoyens.

La Sécurité Sociale, levier de l’Etat-providence

Ainsi, les ordonnances du 4 et du 19 octobre instaurent la Sécurité Sociale. Très grande avancée sociale mise en place par le Conseil National de la Résistance, la Sécurité Sociale devait être “la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain […]1»Le système de Sécurité Sociale français est considéré comme un modèle hybride, empruntant des éléments à deux modèles : le modèle bismarckien du nom du chancelier prussien, Otto von Bismarck et le modèle beveridgien, du nom de l’économiste britannique des années 40 qui a rédigé un rapport très célèbre dont s’est inspiré le Royaume-Uni pour mettre en place son système de protection sociale.

Le modèle bismarckien correspond à une logique assurantielle où l’accès à la protection est fondé uniquement sur le travail. Celle-ci est obligatoire et repose sur les cotisations sociales des salariés et employeurs. Ces cotisations ne sont pas proportionnelles aux risques mais au salaire, c’est pour quoi on parle de « socialisation du risque ». Ceux qui ne sont pas salariés sont considérés comme les ayants droit de l’assuré (femme, enfants). A l’inverse, le modèle de Beveridge correspond à une logique « assistancielle » : les prestations sont versées aux individus qui sont dans le besoin. 3 principes gouvernent ce modèle, les “3 “U”” : universalité de la protection sociale, uniformité des prestations fondées sur les besoins des individus et unité de gestion étatique de l’ensemble de la protection sociale avec redistribution verticale. Cette protection est donc financée par l’impôt. En France, on constate ainsi des emprunts aux deux modèles et on pourrait résumer celui-ci rapidement en disant que le modèle français aspire à l’universalité du modèle beveridgien en empruntant des voies bismarckiennes. A l’époque, l'universalité est en effet cherchée grâce à la généralisation de la Sécurité Sociale en se basant sur le postulat que le salariat sera la norme, faisant bénéficier à travers lui tous les individus soit directement (les cotisants) soit au travers du statut d’ayants droit. Depuis, les réformes de la Sécurité Sociale la font tendre vers un modèle plus beveridgien en généralisant, par exemple, son bénéfice sur des principes qui ne reposent plus sur l’exercice d’une activité salariale mais sur des critères de résidence.

Une réforme nécessaire du système de protection sociale

Entre digitalisation de l’économie et parcours protéiformes, de nouveaux enjeux pour notre protection sociale

Le monde économique et le marché de l’emploi ne ressemblent aujourd’hui plus énormément à celui des années 50. De manière caricaturale, les hommes jeunes et peu qualifiés rentraient à l’usine pour y rester toute leur vie. Les femmes commençaient à entrer sur le marché du travail mais en proportion moindre à aujourd’hui. La proportion de diplômés du supérieur était bien plus faible. La période était à la croissance, donnant avec raison le terme de “Trente Glorieuses”. La structuration financière de la Sécurité Sociale n’a été pensée que dans cette configuration de plein emploi et de santé économique. La réalité d’aujourd’hui est en effet bien différente : la réalité d’aujourd’hui, c’est celle des conséquences de la crise économique de 2008, d’un chômage qui dépasse les 10% des actifs et d’une précarisation de l’emploi. On constate en effet que les emplois précaires sont de plus en plus nombreux et sont devenus la norme pour un actif sur 5. Conséquences aussi de la digitalisation et de la robotisation de l’économie qui font disparaître de nombreux métiers peu qualifiés, du développement de nouvelles formes d’emploi (auto-entrepreneurs, portage salarial, métiers de l’économie collaborative...), de l’effacement de la frontière entre vie privée et vie professionnelle, les parcours sont de plus en plus discontinus et les actifs sont de plus en plus nombreux à avoir plusieurs emplois en même temps. Ajoutés au vieillissement de la population, ce sont toutes ces différences qui rendent aujourd’hui absolument nécessaire une réforme de notre système de protection sociale, afin que celle-ci puisse protéger efficacement tous les citoyens et être économiquement pérenne.

Le Compte Personnel d’Activité : un pas vers l’universalité de la protection sociale

François Hollande a annoncé en avril 2015 qu’une phase de réflexion serait lancée à propos du Compte Personnel d’Activité et celui-ci a été inscrit dans la loi relative au dialogue social et à l’emploi (loi Rebsamen). France Stratégie a été missionné par Manuel Valls pour mener une réflexion sur les possibilités que pourrait offrir le CPA. France Stratégie a ainsi publié un rapport très dense en octobre 2015 à la suite de nombreuses concertations, débats et échanges2.

Le CPA a plusieurs objectifs : améliorer l’accès aux droits en rendant plus lisibles et accessibles les dispositifs de protection sociale, sécuriser les parcours en rattachant les droits non pas à un statut mais à une personne pour sécuriser les transitions professionnelles (portabilité), donner de la maîtrise et de l’autonomie aux personnes dans l’utilisation de leurs droits. En utilisant le terme de compte personnel “d’activité” et non “d’emploi”, le CPA renvoie à une vision large qui dépasse celle de l’emploi simple et insiste ainsi, en parallèle de l’emploi, sur les activités non marchandes qui participent elles aussi de la croissance et de l’acquisition de compétences.

France Stratégie a ainsi proposé trois scenarii de CPA, consignant différents droits, en fonction des objectifs poursuivis. Dans les trois scenarii, les droits seraient consignés sur un compte unique et personnel et serait définie une fongibilité, dans une certaine mesure, de ceux-ci. Cela signifie qu’un individu qui capitalise des droits spécifiques pourrait choisir de les convertir en d’autres droits. La fongibilité est déjà possible dans certains cas : un salarié peut par exemple convertir des RTT qu’il n’a pas utilisé en congé formation ou utiliser son compte personnel pénibilité pour partir en retraite anticipée. La portabilité des droits signifie, de son côté, que les droits, puisqu’ils ne seront pas rattachés au statut mais bien à l’individu, seraient conservables au cours des transitions professionnelles. Le premier scénario proposé par France Stratégie est surtout axé sur la formation, le second sur la gestion des temps et le dernier sur l’accès aux droits. Pour chaque scénario, la liste des droits à inclure et les complexités qui apparaîtront sont détaillées. Ces trois scenarii ne s’excluent pas et ce sera au législateur de décider du contenu à intégrer au Compte Personnel d’Activité et de ses modalités de financement.

La FAGE se mobilise pour donner de l’ambition au CPA et obtient la création d’un droit universel à la formation en son sein

En fonction des choix qui seront faits pour construire le CPA, celui-ci pourrait être en effet un premier levier de réinvention de la protection sociale. Alors qu’il est clair que l’accès aux droits de tous est un réel enjeu de société lorsque l’on sait que le non-recours représente des sommes plus importantes et bien moins médiatisées que la fraude aux aides sociales et concerne surtout les publics les plus vulnérables et qui ont donc, théoriquement, le plus besoin d’utiliser ces droits et qu’en parallèle les parcours professionnels de demain seront encore plus discontinus que ceux d’aujourd’hui, une réponse sociale ambitieuse est aujourd’hui absolument nécessaire.

Pour cette raison, l’intérêt de créer un CPA ambitieux, qui aille au-delà d’une plateforme numérique regroupant tous les droits d’une personne, a été compris par la FAGE. Pour cette raison, la FAGE a souhaité faire un pas vers le Gouvernement en acceptant le dialogue autour du Projet de loi El Khomri, afin d’en faire retirer les mesures agressives et obtenir des engagements vis-à-vis de l’importance de donner de l’ambition au CPA. Grâce à son attitude constructive et ferme, la FAGE a ainsi obtenu le retrait ou la modification de nombreuses mesures dangereuses du projet de loi et la création d’un droit universel à la formation au sein du CPA, un levier efficace et concret de sécurisation des parcours.

Ainsi, la FAGE a obtenu du Gouvernement qu’il instaure un droit à la formation et à l’accompagnement vers l’emploi, en proposant deux solutions qu’il a retenues. Celui-ci incarnera l’engagement de l’Etat pour la formation de tous ses citoyens. Alors qu’aujourd’hui l’Etat s’engage surtout pour la formation des jeunes en formation initiale (pour lesquels une réforme du système de bourse est d’ailleurs nécessaire) et dans une moindre mesure pour la formation des actifs et des jeunes décrocheurs, il est nécessaire de garantir que chaque public puisse bénéficier de formation, afin d’atteindre un niveau de qualification suffisant pour garantir un maintien dans l’emploi, à l’heure où la qualification sera de plus en plus un rempart au chômage. Ce droit à la formation et à l’accompagnement vers l’emploi se concrétisera de plusieurs manières : pour les jeunes décrocheurs sans ressources, la Garantie Jeunes va devenir un droit.

Ainsi, tous les jeunes éligibles à ce dispositif géré par ¾ des missions locales du territoire national - qui combine un accompagnement personnalisé, des stages en entreprise et 461€ par mois - pourront en bénéficier. C’est ainsi un réel filet de protection sociale pour tous ces jeunes qui est mis en place, alors qu’aujourd’hui ils sont 900 000 dans cette situation.

En parallèle, l’Etat abondera jusqu’à 400h le compte personnel de formation des jeunes entrés en emploi directement après le secondaire, dans des métiers peu qualifiés, autrement dit pour des jeunes qui n’ont jamais bénéficié de l’engagement de l’Etat dont bénéficient ceux qui vont dans le supérieur. Ainsi, nous garantissons à chaque jeune qu’il ne sera pas laissé sur le carreau et qu’il pourra bénéficier d’une protection sociale adaptée pour (re)venir vers l’emploi.


Pour toutes ces raisons, il est d’une impérieuse nécessité que la FAGE soit proactive dans les mois qui arrivent, comme elle l’a été lors de la concertation des organisations syndicales au sujet du projet de loi El Khomri, sur les choix relatifs au contenu et à l’organisation du Compte Personnel d’Activité, pour participer à faire du CPA un réel levier de la protection sociale du XXIème siècle. Le débat autour du CPA, au-delà du cadre du projet de loi travail devra être un débat sociétal de grande ampleur, participatif, pour permettre d’inclure à celui-ci tous les droits nécessaires et dans des modalités pertinentes.

Sources

 1 Exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945

2 Le Compte Personnel d’Activité : de l’utopie au concret

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